« Ecoutez la différence » disait le slogan d’une célèbre radio d’état…
Il y a de cela deux ans exactement, je fus sollicité par Guillaume Gratiolet de Ràdio Occitània, tout comme d’autres, afin de lui proposer une chronique régulière sur un sujet qui me tenait à cœur. Il recherchait de la fraîcheur, de la nouveauté, en tout cas pour une radio en occitan, avec en tête l’idée que l’on pouvait parler de tout à condition de le faire en occitan. Je me lançai dans une chronique sur les jeux vidéo, d’autres embrayèrent sur le cinéma, la télé, le foot, la musique, les voyages, et bien d’autres choses. Au début un peu hétéroclite, l’amas de chroniques fut rassemblé par la suite par Guillaume en une tranche horaire matinale, rapidement appelée Good Morning Occitània. Cette émission, bâtie sur un modèle qui fonctionne dans chaque radio généraliste en français, connut une belle croissance durant la saison 2013-2014. De fait, avec la FIMOC (Fédération Interrégionale des Médias Occitans) et ses objectifs de mutualisation, la petite équipe de Good Morning Occitània à Toulouse fut rejointe par une autre, à Ràdio País, composée d’animateurs, mais aussi, cette fois, de journalistes. Ràdio País était à l’époque en grande difficulté, et je crois pouvoir affirmer sans trop me tromper que le programme matinal précédent fonctionnait bien moins que Good Morning Occitània une fois lancé sur les ondes, et surtout une fois lancé en duplex coordonné entre Pau et Toulouse. Grâce à l’engagement de toute une équipe, composée des salariés comme de chroniqueurs bénévoles, intervenants réguliers de l’émission, avec chacun sa plume, sa voix, son style, l’émission gagna en force, en qualité éditoriale et technique, pour devenir rapidement une émission comparable à ce qui peut se faire, à registre équivalent, sur les antennes généralistes nationales. Cet engagement de tous fit boule de neige, et on parla largement de l’émission. On peut même dire qu’elle réussit à être écoutée (une première) par des non-occitanophones alors même qu’elle était entièrement en occitan. Clairement, Good Morning Occitània n’était pas parfaite, et on y pouvait trouver des choses à redire, mais de manière sporadique finalement, et très peu, compte tenu de la jeunesse du programme. De plus bon nombre d’erreurs disparurent vite durant la saison, car chacun travailla à lisser et à harmoniser sa manière de travailler, à effacer ses erreurs pour se rapprocher de l’idéal d’une radio qui ressemble enfin à une radio. Et la radio, c’est un métier.
Aujourd’hui, à la rentrée 2014, Good Morning Occitània n’a pas pu reprendre. Pas avec sa forme mutualisée, active, vivante, interrégionale, qui s’était bâtie pierre par pierre, et que l’on avait laissée aux vacances avec l’espoir de la retrouver en septembre. Alors ? Que vient justifier l’arrêt d’une émission en occitan, qui fonctionne, qui est, rappelons-le, soutenue par les politiques et responsables associatifs de deux régions (Aquitaine et Midi-Pyrénées), qui y voient ce qu’ils attendaient d’une émission de radio en occitan, qui réussit à être à la mode, présente sur les réseaux sociaux, qui interagit avec ses auditeurs toujours plus nombreux ? Une raison, il en existe certainement une. Une bonne. Il doit y en avoir une.
Ce que nous savons pour le moment, c’est qu’un changement est survenu au bureau de Ràdio País. Que des salariés, présents dans la matinale, quittèrent leur emploi, de leur propre chef ou non. Que, au premier septembre, jour de rentrée des radios comme des autres, le nouveau bureau de Ràdio País n’avait nullement communiqué sur ce qu’il comptait faire, n’avait pas présenté de projet, et que ce silence empêchait de fait Good Morning Occitània de se tenir au moment où le programme aurait dû se lancer.
Conséquence : un retour en arrière pour les porteurs de l’émission du côté de Ràdio Occitània, qui se retrouvent isolés à Toulouse alors qu’ils avaient essayé de s’ouvrir et d’ouvrir leur émission, et y avaient d’ailleurs partiellement réussi.
Autre conséquence : la fin d’une nécessaire mutualisation des programmes, nécessaire de par les difficultés rencontrées par les radios associatives et l’aire d’émission réduite de chacune, qui permettait à des programmes d’intérêt de toucher plus de monde, et donc à la langue occitane de toucher plus de monde.
Conséquence de ces conséquences : l’arrêt total d’une vision pédagogique de la langue occitane qui laisse la place à l’échange, l’interdialectalité (les auditeurs gascons pouvaient entendre du languedocien et inversement), et aussi sa socialisation, qui permettait de créer le contenu même de l’émission.
Nous ne trouvons pas ici en face d’un manquement technique ou communicationnel. Mais bien en face d’une question de projet, de sens, qui peut avoir de graves conséquences, au point où nous en sommes, sur l’état et la place de l’occitan dans la société. Et, nous le savons, il n’y a en ce domaine rien d’assuré. Au contraire. Good Morning Occitània portait (il me siérait davantage d’en parler au présent, malgré le fait que le projet soit, par la force des choses, en sommeil) des assurances dans une direction qui me paraissait bonne, viable, et d’avenir.
Parce que Good Morning Occitània demeure la possibilité d’avoir une radio normale pour une langue qui serait redevenue normale. Oui, sur le modèle des grandes matinales radiophoniques. Pour la bonne et simple raison que c’est cela qui fonctionne : un équilibre entre actualités, chroniques, musique, le tout sur un ton plutôt léger, pour accompagner ceux qui ont envie de se lever avec l’énergie et le rythme de l’émission. Tout simplement. Good Morning Occitània n’eut jamais la prétention d’essayer, avec tous les risques que cela comporte, de réinventer des recettes qui ailleurs firent leurs preuves. Elle voulut reprendre ces recettes, en y ajoutant un ingrédient de choix : la langue occitane. Montrer que l’on peut faire de la radio en occitan. Que l’on peut parler de n’importe quel sujet dès potron-minet, mais en occitan. Et c’est bien là que naît la « différence », car oui, l’occitan seul est une différence, nul besoin de l’enserrer davantage, de trouver à tout prix ce qui l’éloignerait du voisin, a fortiori s’il s’agit d’une langue ou d’une culture dominante, de montrer à quel point elle n’est comme rien d’autre et que ce trésor unique doit être conservés entre nous, entre initiés. La différence doit avoir un écho dans le monde. La différence, au sens positif, est ce qui est perçu par tous ceux qui, sans parler ou même connaître rien de l’occitan, se branchent, par hasard ou bouche à oreille, à Good Morning Occitània entre 7h et 10h et y restent car, même s’ils ne comprennent pas tout, elle est faite selon des codes culturels qui leur correspondent, car ils ont le sentiment qu’elle s’adresse à eux, même si elle ne le fait pas dans leur langue première, et que tout ce qui leur est demandé c’est d’avoir un minimum de curiosité, de changer l’indifférence pour la différence, avec toutes les valeurs positives que le terme peut comporter.
Good Morning Occitània ne semble pas plaire aux nouveaux administrateurs de Ràdio País. Moi, si tout ne me plaît pas, cela ne m’empêche pas d’écouter et de soutenir. La force de l’émission est de créer le consensus, de garder le plus d’auditeurs possible un temps donné, un temps durant lequel on peut partir dans de nombreuses directions différentes, pour balayer le Monde d’un regard occitan. Bien sûr, il est possible de préférer à cela une formule rigide, où un seul objet serait développé, qui plairait beaucoup, mais seulement à une poignée de personnes.
Occitanes. Occitanophones. Occitanistes.
Nul besoin à ce moment de s’embêter avec la technique, avec les règles établies au fur et à mesure des années traversées par un média désormais ancien.
Nul besoin de confier de responsabilités et un pouvoir de décision à ceux qui savent faire de la radio, qui firent leurs armes ici et là sur des antennes de plus ample envergure.
Nul besoin non plus d’engager des personnes qui s’y connaissent en technique et que l’on formerait ensuite à la langue occitane, il suffit de prendre ceux qui parlent simplement une très belle langue, sans autre compétence que celle-là.
Nul besoin enfin de « professionnels », cet affreux mot qu’une frange de l’associatif occitan pointait du doigt dans les années 70. On croyait ce temps et cette conception abolis, on s’était semble-t-il fourvoyés.
Il semblerait que l’occitan n’ait pas droit à la normalité à laquelle il prétend, de la volonté même de ceux qui disent le défendre.
Good Morning Occitània est comme une maison. Une maison, unique, différente, aux murs constellés, colorés, typiques et atypiques tout à la fois, mais qui partage avec les autres maisons un même principe de fondations, de bases communes. On peut bien y faire ce que l’on veut, ces bases communes ne trembleront pas, au risque de faire s’effondrer tout l’édifice. L’absence de projet à cette heure et l’absence totale de communication semble pourtant indiquer que la volonté est en tout premier lieu de détruire ces fondations, puis de réduire en miettes ce qui restera des murs. Pour construire quoi ? Nul ne le sait. Une cabane peut-être, mais en tout cas rien qui ne puisse remplacer Good Morning Occitània et son ambition.
Pour tout cela, je demande aux administrateurs de Ràdio País de redonner la possibilité d’une vraie matinale en occitan commune et mutualisée entre leur antenne et celle de Ràdio Occitània, de laisser la porte ouverte pour permettre à terme à d’autres de s’y joindre, de donner les moyens qu’il convient à un tel projet, de faire confiance à ceux qui menèrent jusqu’ici cette émission et sont en mesure de la mener encore plus loin, de respecter, en plus des salariés, les chroniqueurs bénévoles qui passent du temps à écrire pour cette émission et qui se voient désormais coupés de certaines possibilités de diffusion de leur travail. La séparation entre Ràdio Occitània et Ràdio País pénalise en l’état les auditeurs toulousains du contenu qu’ils avaient l’an dernier, et les auditeurs gascons de l’intégralité d’une émission de valeur, qui aura bien du mal à être remplacée. Good Morning Occitània est potentiellement la tranche radiophonique la en occitan la plus écoutée, ce serait folie que de l’abandonner.
Cordialement,
Tristan Gahús
Croniqueur et auditeur de Good Morning Occitània